Questions posées par des pratiquants à Maître Tamura lors du stage des féminines à Bras les 3 et 4 mars 2007
- Faut-il fermer les yeux pour mieux ressentir la technique ?
La vue est le dernier sens qui s’éveille à la naissance d’un enfant et parce qu’on peut fermer les yeux et pas les autres sens on peut penser que la vue est moins importante.
En fait les yeux sont très importants. Dans les arts martiaux il faut être très vigilant. Tous nos sens doivent être en éveil. O Sensei pouvait ne pas regarder, mais nous, à notre niveau, tous nos sens doivent être ouverts pour nous permettre d’agir sans réfléchir.
Il nous faut agir de la même façon que lorsque l’on mange : tout en parlant, vous portez, sans réfléchir, votre fourchette à la bouche sans jamais rater celle-ci. Pour Aïte c’est pareil : l’attaque doit être précise et non pas tomber à côté de Tori.
L’Aïkido est là pour éduquer les gens, pour éduquer le corps pour qu’il change du tout au tout. Il nous faut revenir au naturel, à l’intuition. Il nous faut agir de la même façon que les animaux. Et dire que l’on se croit supérieur à eux ! Il nous faut donc travailler sans cesse jusqu’à agir sans réfléchir et que nos gestes soient parfaitement justes.
Essayez donc de claquer les mains et d’obtenir toujours le même son ! (les pratiquants essayent) Avez-vous entendu ? Le son n’est jamais identique ! Il faut s’entrainer pour y arriver. Et bien l’Aïkido c’est cela. C’est une éducation du corps et non pas l’apprentissage de la bagarre. Si quelqu’un vous cherche la bagarre, évitez-le et partez. Il ne faut pas s’opposer. Sur le tatami le partenaire me permet de travailler. Il faut donc enlever toute force.
- Pouvez-vous nous parler de la façon de marcher, de se déplacer à l’Aïkido ?
Il ne faut pas remuer les épaules, ni balancer les fesses. Il faut être bien centré. Le déplacement doit être harmonieux comme celui des mannequins. Avec une telle marche on n’a pas mal au dos et ça libère les hanches. La première chute très courte que je vous fais faire en début de stage est également là pour libérer les hanches.
Non seulement cette marche est jolie à regarder mais elle vous permet une plus grande efficacité car votre corps est alors bien centré.
- Doit-on employer le terme « nanamé » ?
Ce terme n’existe pas dans notre fédération. Ça veut dire « diagonale ». Mais à l’Aïkido de nombreuses choses sont en diagonale, comme par exemple la coupe « yokomen ».
N’employez pas, à l’Aïkido, d’autres mots japonais que ceux employés par O Sensei car les mots japonais nécessitent de la prudence. Leur sens n’est jamais évident. Il faut avoir une éducation japonaise pour bien les comprendre car votre éducation et la nôtre sont très éloignées. Nos points de vue sont si différents.
Ainsi vos arts sont basés sur la perfection, vos tableaux représentent de jolies personnes avec des yeux bien symétriques. Mais c’est bien loin de la réalité ! Regardez autour de vous, les gens ne sont pas parfaits, ils ressemblent plutôt aux personnages des dessins animés, avec des têtes déformées ! Nous, au Japon, on préfère l’imperfection. Regardez ce bouquet (Ikebana au Kamiza) Il part dans tous les sens. Rien n’est symétrique. C’est la même chose pour votre hakama : il y a trois plis d’un côté et deux de l’autre côté. La nature est faite ainsi : regardez ce tableau (sumi-e pendu au kamiza) Il représente un grenadier. Remarquez qu’il est tout tordu. C’est parce qu’il s’adapte aux différentes conditions climatiques sans jamais se plaindre. Et malgré l’adversité, il fait un grand nombre de fruits.
Dans vos sociétés démocratiques, vous demandez l’égalité à tout prix, et l’Etat impose la conformité. Mais dans la réalité, on est tous différents : il y a des grands, des petits, des maigres, … Quand j’ai créé les stages « féminines », les femmes se sont plaintes car, selon elles, je faisais de la discrimination. Pourtant les hommes et les femmes sont différents et leur Aïkido n’est pas le même. Si l’homme travaille plus en force, la femme, elle, est plus dans l’intuition. Des siècles d’éducations différentes en ont fait des êtres différents. Ils n’en sont pas moins complémentaires. Ainsi, depuis que des hommes viennent aux stages « féminines », les femmes sont contentes et les hommes plus prévenants et … plus calmes (rires).
Vous, les occidentaux, vous classez tout dans des catégories, alors que chez nous notre vision est plus globale. C’est ce qu’illustre le Yin et le Yang : les choses sont mouvantes et difficiles à délimiter. Dans les hommes il y a un peu de féminin et chez les femmes un peu de masculin. Hommes et femmes sont comme l’électricité : il faut le « plus » et le « moins » pour que le courant passe, et l’Aïkido c’est pareil. L’Aïkido n’est pas là pour apprendre à se battre mais pour apprendre à nous connaître nous-même. Derrière la technique c’est notre cœur qu’il faut chercher. N’allez pas vous battre mais cherchez la vérité en vous-même.
Interrogez-vous, par exemple, sur cette pression que l’on exerce pour que vous cessiez de fumer. On est tous différents et nos corps ne réagissent pas de la même façon. N’y a-t-il pas des individus qui sont atteints de cancer alors qu’ils n’ont jamais fait d’excès ? Et d’autres qui ont fumé toute leur vie et qu’on enterre à plus de 90 ans ? Il y a autour de nous des luttes d’influences et l’Aïkido est là pour nous apprendre la vigilance. Des groupes cherchent à nous manipuler pour améliorer leur propre situation.
Comprenez-vous ? Nous, les japonais, nous n’avons pas la même perception de la vie que vous, les occidentaux. Un japonais essaie, tout au long de sa vie, de se perfectionner, de faire le mieux possible, pour pouvoir dire, sur son lit de mort « c’est bien ! je peux partir tranquille car tout est en ordre. »